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REPORTAGE – À la découverte des murs à pêches, 34 hectares de nature menacés par le Grand Paris

Partons faire un petit tour sur le plateau du haut Montreuil, aux abords de Paris, pour découvrir un petit trésor de verdure, le site des murs à pêches.

Patrimoine historique de la ville, les 35 hectares des murs à pêches témoignent de l’activité agricole qui s’est développée à Montreuil du XVIIe siècle au XIXe siècle. 

La spécificité de cette agriculture a été le palissage à la loque qui consistait à faire pousser des arbres fruitiers contre un mur enduit de plâtre afin que ces derniers emmagasinent la chaleur du soleil dans la journée pour la restituer aux fruits et aux arbres durant la nuit.  

Ces cultures permirent de produire sous le climat de la région parisienne des variétés de fruits, généralement réservées aux climats du sud de la France.

On est allé à la rencontre des gardiens du lieu et des usagers qui permettent à ce véritable poumon vert de la ville, de subsister.

Un peu d’histoire

Les horticulteurs Montreuillois produisaient des pêches de grande qualité. Leurs fruits étaient servis à la table des gouvernants de l’époque. « Notez que sous Louis XIV, son grand jardinier La Quintinie, créateur à Versailles du Potager du roi, vint à Montreuil pour y recruter des spécialistes déjà réputés pour soigner les pêchers. » Notre Production Fruitière – Louis Aubin

“A la fin du 19e siècle, l’extension du chemin de fer engendra le déclin des productions de pêches, les 17 millions de fruits de ce verger ne purent faire face aux fruits venus du Midi, plus précoce et moins coûteux… Les terres furent progressivement urbanisées. Sur les 300 hectares initiaux, il en reste aujourd’hui seulement une trentaine que nous tentons tant bien que mal de préserver”, nous explique Mathieu, membre de la fédération des murs à pêches.

Image d’archive des murs à pêches de Montreuil | source : Wikipedia / domaine public

Un avenir incertain

Nous avons eu l’occasion de rencontrer Jeanne Studer, sans doute l’une qui a le plus oeuvré pour le lieu. Elle cofonda avec Pascal Mage la première association du site.

A partir de 1994, l’état et la municipalité ont décidé d’abandonner le statut protecteur “Réserve naturelle urbaine” au profit d’une zone urbanisable à 80%.

C’est à ce moment-là que ces deux anciens militants du parti écologiste “Les Verts” ont décidé de créer ce premier collectif pour tenter de préserver ce patrimoine.

“En 2004, nous avons essayé de classer 16 hectares, mais nous avons réussi à en protéger seulement 8. L’ancien maire, Jean-pierre Brard, s’est battu comme un lion contre la préservation du site”, nous explique-t-elle. “C’est super qu’on ait pu faire ça, mais c’est peu par rapport à la taille du site”.

Dominique Voynet, la maire étiquetée “EELV” qui lui a succédé n’a guère fait mieux. Elle a fait construire une piscine, une maison de retraite et un collège dans le quartier des murs à pêches sous son mandat entre 2008 et 2014.

“C’est quand même sinistre, elle a fait expulser l’association des Jardins du coeur pour y faire construire une piscine”, se plaint-elle.

Entre activité sociale et agri-culturelle

Le sens de l’humus | Crédits : RL / les alternatifs

Installée rue Saint-Antoine, l’association Le sens de l’humus est l’une des 15 associations actives sur le site. Née au printemps 2006, elle est le fruit de la rencontre entre une vingtaine de personnes souhaitant promouvoir de nouvelles formes d’agriculture inspirées de l’agroécologie et de la permaculture.

Ne souhaitant pas se limiter au jardinage, ils ont également créé un nouveau projet en 2010, le Jardin solidaire. Celui-ci permet à des chômeurs de longue durée, des RMistes, des seniors et des personnes en situation de handicap, de se reconstruire à travers la pratique du jardinage. “Dans l’esprit de la permaculture, il se veut ainsi être un Jardin qui Soigne et qui prend Soin” peut-on lire sur leur site internet.

“Les murs à pêches sont un espace unique, menacé par l’urbanisation du Grand Paris… On doit avoir un rôle de lobbying citoyen, car nous risquons de perdre ce patrimoine que chaque jour nous essayons de bichonner”, s’inquiète Solène, l’une des salariées de l’association.

Memeth, Rmiste et bénévole au sein de l’association, confirme : “J’ai grandi en appartement, c’est génial ce coin de nature … avant il y avait des terrains vagues, maintenant il fabrique des immeubles dessus, c’est dommage”.

Car en effet, le site est plus que jamais menacé par le Grand Paris, ce projet visant à transformer l’agglomération parisienne en une grande métropole mondiale, porté par l’ancien président de la république Nicolas Sarkozy dès 2008.

Alors que le tramway va passer prochainement à proximité, l’ancienne maire a accepté la conception d’un site de maintenance de deux hectares sur le site, risquant ainsi, de complètement dénaturer le lieu.

“Le garage à tram est une véritable catastrophe ! C’est la faute à Dominique Voynet, elle aurait dû refuser, comme l’a fait la mairie de Romainville. Il y avait d’autres options”, nous affirme Jeanne Studer, défenseur emblématique du lieu.  

Mais aujourd’hui, c’est principalement le projet « Espaces Imaginaires Fertiles » (EIF) qui indigne les organisations composant la fédération des murs à pêches.

Ce projet, initié par la ville de Montreuil, la communauté d’agglomération et l’État, ambitionne de réhabiliter l’ancienne usine de peausserie EIF en un complexe immobilier comprenant 83 logements, des espaces de commerce et de restauration et un concept d’hôtellerie écologique.

“Si tout le monde est d’accord sur le fait qu’une reconversion de l’usine est nécessaire, elle doit se faire en cohérence avec un projet global pour le site. Pas en vendant les terres à Bouygues Immobilier pour y faire construire un complexe immobilier de 83 logements”, nous explique une membre de la fédération.

Plan du projet Espaces Imaginaires Fertiles (EIF) / source : Leclercq Associés

“Je suis contre le projet EIF, c’est ce qui fait débat et opposition au sein du conseil municipal”

L’insoumise Riva Gherchanoc, maire adjointe de Montreuil et conseillère territoriale à Est Ensemble, s’oppose à ses collaborateurs en demandant l’arrêt immédiat du projet EIF, nous l’avons rencontrée.

“Je suis contre le projet EIF, c’est ce qui fait débat et opposition entre le groupe de la France insoumise et le Parti Communiste au sein du conseil municipal et à Est Ensemble, nous, nous étions contre dès le début ! Nous ne comprenons pas pourquoi il y a des parcelles attenantes qui sont attelées à ce projet là. De plus, le fait que le projet soit attribué à Bouygue immobilier pose un réel problème éthique et politique, le projet n’a jamais été vraiment transparent”.

Ce n’est qu’en octobre 2018, que la mairie constate l’ampleur des pollutions liées à l’usine.Les résultats d’une étude mettent en évidence plusieurs zones fortement polluées en solvants chlorés et en hydrocarbures volatils, des polluants issus du passé industriel du secteur.

“J’ai toujours alerté sur la pollution des sols, mais on ne savait pas qu’elle serait aussi conséquente, je ne m’attendais pas à ce que la pollution des terres atteigne la nappe phréatique”, nous explique la maire adjointe.

Le pacte pour l’avenir des murs à pêches

En amont des élections municipales des 15 et 22 mars 2020, la Fédération des Murs à Pêches a décidé d’interpeller différents candidats qui se présentent à la mairie de Montreuil en leur proposant un pacte pour l’avenir des Murs à Pêches.

Les propositions sont les suivantes :

1] L’abandon du projet EIF et l’engagement d’un véritable travail de co-construction, avec les associations de l’usine et les acteurs et actrices du site, d’un autre projet, respectueux du paysage et du caractère public du site.

2] Protéger les sols et les espaces non bâtis du quartier.

3] Reconnaître et institutionnaliser la co-gestion avec les associations et les habitants du quartier..

4] S’engager sur une véritable transparence concernant la pollution du site EIF et sur les travaux de dépollution. 

5] S’engager dans une démarche innovante pour faire des murs à pêches le(s) commun(s) du Montreuil de demain et un laboratoire à ciel ouvert d’expériences écologiques, culturelles, sociales et solidaires.

La fédération publiera les réponses des candidats d’ici le premier mars 2020.

Focus – La forêt de Romainville

Crédit Photo: DR

A deux pas de Montreuil, à Romainville, c’est l’aménagement de la forêt de la Corniche des forts qui fait débat.

En effet, une île de loisir de 5 hectares est en construction sur cette forêt urbaine qui a poussé à l’état sauvage depuis plus de 60 ans, sur une ancienne carrière de gypse (une roche utilisée pour la fabrication de plâtre).

L’association des Amis de la Corniche des Forts dénonce la coupe de près de 2000 arbres. De nombreux citoyens et collectifs se mobilisent toujours contre ce projet et souhaitent obtenir le classement en  « forêt de protection » du lieu au titre de l’article 411-1 du Code Forestier.

La région Île-de-France, propriétaire du site, se défend en promouvant un projet  “éco-conçu”, respectant une exigence environnementale forte, la préservation et la valorisation des espaces naturels existants, et des aménagements en faveur de la biodiversité. Le projet devrait être terminé pour l’été 2020.


RL pour Ecoh

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