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La décroissance est-elle en train de prendre ?

Une tribune de Thierry Kruger. Auteur-réalisateur de documentaires et candidat sur la liste Décroissance 2019 pour les élections européennes.


En scrutant le web, ce que je pratique depuis 2006, date où j’ai fini par l’accepter avec méfiance, il ressort que depuis moins de deux ans il y aurait explosion en nombre des références menant vers les thématiques telles que la décroissance, l’effondrement, la collapsologie, le biocide, l’écocide, l’antispécisme, le véganisme, la 6e extinction, le survivalisme, le Club de Rome, la démocratie directe, ou encore l’autogestion.

Comme je suis réalisateur, je commencerai par mon impression dans mon monde professionnel et sur la réception de ces sujets. Vieux lecteur du Monde Diplomatique, je ne pouvais éviter de vous en dire un mot quant aux politiques, faussement peu encourant, et enfin de la jeunesse, qui promet.

Des réalisateurs pour traiter de l’effondrement

Lorsque je saluai ma collègue aînée Coline Serrault vers 2010, suite à une projection de son film « Solution locale pour désordre global », elle nous dit qu’elle en préparait cinq autres, avec un sentiment d’urgence. Or, aucun ne vint ensuite, faute de financement.
Après le succès inespéré de ‘Vos enfants nous accuserons’ de Jean-Paul Jeaud sur la nourriture aux pesticides, celui-ci nous avait dit en 2009 être furieux de l’arrêt de sa distribution – le contrat avait une date limite – alors que, je le cite « les files d’attentes allaient jusqu’à l’autre bout de la route en face du cinéma ». ‘Serven’ ensuite connut un succès d’estime mais il peina ensuite à se financer, le film avec Séralini l’ayant discrédité : les rats ayant servi à l’expérience pour démontrer que les OGM sont nocifs et provoquent d’hideuses tumeurs géantes étaient d’une variété de rattus norvegicus créée pour les laboratoires et développant naturellement des tumeurs à la fin de leur vie. Je le sais, j’en ai eu un couple, arraché à un laboratoire pharmaceutique, et telle fut leur triste fin.

Dans mon dernier film, nous avons interviewé cette fois-ci Pierre Carles, parce que dans son film ‘Attention travail’ il abordait la question d’une alternative au capitalisme. Il bosse dans un ancien entrepôt à Montpellier, disposant d’un box. Lui aussi se paupérise, il peine à trouver des fonds.

Il avait filmé au village Troglobal, au nord-ouest de l’Anjou où un couple d’alors jeunes proprios à dit ‘venez’, créant un petit village de plusieurs dizaines d’habitants expérimentales. Eco-construction, agriculture alternative mais aussi où un autre mode de vie est testé : non hiérarchique, non individualiste, où rapports de sexe, rapports parents-enfants sont redéfinis. Ainsi, une fois par semaine, la gran’ place du village – qui vient buter sur les parois d’un habitat troglodyte pré-existant et restauré, les résidants font-ils la fête. « Il n’y a qu’une télé dans le village et on vient la voir de temps en temps (..) quand il s’y passe quelque chose nous dira l’un des créateur de l’éco-lieu.

Avec Pablo Girault, je suis réalisateur de documentaires en salles – trois à notre actif depuis dix ans – tous centrés sur la prospective. ‘Sous les pavés la Terre’ en 2009 sur l’agriculture naturelle et l’éco-construction, ‘La possibilité d’être humain’ en 2012 sur la sortie du capitalisme et enfin ‘Demokratia’ en 2015 sur la démocratie directe.

Je suis actuellement sur mon 4ème documentaires, centré sur la collapsologie ou la science de l’effondrement et de la résilience. Un projet international – les rushes déjà tournés parlent français, anglais, espagnol – mais pas encore financé. Nous avons rencontré Pablo Servigne en 2015 afin de nous assurer de la pertinence d’un tel sujet. Or il appert que malgré l’édulcoration du propos, deux réécritures du texte de présentation, après un premier échec en 2017 sur Ulule, nous nous acheminons vers un second, alors qu’il nous reste à peine plus d’un mois pour arriver à le financer.

Nous avons rencontré Philippe Borrel, réalisateur de dix documentaires pour la télévision. Son plus beau et qui nous intéresse ici est son ‘Un monde sans humain’ (2012), inspiré de ‘Population zéro, un monde sans humain’ (2008) de Stephen Millton. Sauf qu’ici il n’est pas question de la nature qui reprend ses droits, absorbant jusqu’aux derniers vestiges de nos civilisations, mais de l’éviction des humains par la machine. Il m’a dit avoir bénéficier d’un budget important, 200 000 €. Philippe, en constatant les sujets que la télévision se refuse à traiter ou / et les angles imposés s’est radicalisé sur les questions environnementales et sociétales et, aujourd’hui vit plus difficilement. Son dernier film est le premier en salles, afin de disposer de plus de liberté.

Autre réalisateur et carrément franc tireur de l’effondrement, Tancrède Ramonet, qui s’est tourné vers un autre média, la plate forme de la multinationale Youtube où il produit la série NEXT, la toute première à aborder l’effondrement qui vient. Pablo Servigne en est la première ‘guest star’ où il traite du volet psychologique : comment palier à la stratégie du dénie et, une fois admis la finitude des matières premières et l’insoutenabilité de notre modèle basé sur les énergies fossiles et la croissance perpétuelle, sur le fond d’une financiarisation dangereuse et de l’assèchement du crédit, Pablo se demande comment retrouver une joie de vivre.

Ce ‘réenchantement du monde’, Pablo Servigne l’explique dans cette série, et nous a dit être le père, avec sa compagne, de deux filles. Cela lui donne la force d’oeuvrer pour l’avenir car ses enfants, le couple les désirait, tout en étant conscient de l’avenir. Oui, le Nouveau Monde ne saurait se créer sans êtres humains, sans générations futures : la fin du capitalisme n’est pas notre fin !

NEXT fait appel, encore, et c’est surprenant, à l’artiste Didier Super, impérissable auteur post-punk de l’inoubliable ‘On va tous crever’. Pas si bête, si l’on se rappelle que lorsque  les manifestations des européens pour le Climat ont rencontré les mouvements sociaux à Paris, en avril dernier, cela a donné le slogan ‘Fin du Monde / Fin du mois’. Nous l’avons vu et, en effet, il est décroissant.

Tancrède Ramonet n’est financé que par ses spectateurs et avoue que les financements se tarissent aussi pour lui. Alors, est-il possible de produire et réaliser un grand et beau film documentaire pour les salles – ne songeons pas encore aux télévisions françaises, c’est verrouillé – dans ce pays ?

Verra-t-on, par ailleurs, une série décroissante sur Netflix ?

Aussi, je vous convie à aider notre film, si tant est qu’il ne soit pas trop tard. Tout n’est pas encore perdu, parce qu’une série de bandes dessinées au titre clair de EFFONDREMENT cherchait 10 000 € pour se faire éditer. Or, il a reçu plus de 200 000 € avec plus de 5000 donateurs, sur Ulule. Ceci expliquerait pourquoi notre projet de film n’a pas pu émerger à côté d’un tel succès !

le lien pour nous aider

Toutefois, EFFONDREMENT n’est pas qu’une bande dessinée didactique : l’auteur a assorti sa réalisation avec la création d’un lieu de résilience pour survivre à l’apocalypse systémique et ceux qui l’ont financé semblent très majoritairement plutôt jeunes.

Un ministre de l’écologie prit dans les contradictions du système

Il faut noter que le thème de la Décroissance et de l’effondrement a commencé à percer, en 2018, quelques années après le 1er livre de Pablo Servigne, ‘Comment tout peut s’effondrer ?’ Cette année apparaîtra comme charnière dans l’avenir. C’est celle où Nicolas Hulot, faire-valoir des multinationales et du green washing chope le seum une fois ministre ! Il ‘découvre’, que « les traités européens ne permettent pas de financer la transition énergétique ». Il fait lire ‘Effondrement’ de Jared Diamond, un livre qui a déjà plus de vingt ans, à un Premier Ministre hilare, dans une vidéo hallucinée, où l’on dirait qu’Edouard Philippe a fumé la moquette.

Disons clairement que le livre de Diamond reste tout à faire d’actualité, à une exception : sur l’île de Pâques, il se trompe complètement : c’est la civilisation occidentale qui a causé l’effondrement, au XIXe s., de la civilisation pascuane, et non eux-mêmes dans le courant du XVIIe siècle.

Peu après, Nicolas Hulot démissionne en direct à la radio.

Des jeunes influents sur internet prennent le relais

Mais tout cela a porté : le vidéaste de ‘Partagez c’est sympa’, sur Youtube, que finance, heureusement, le Centre National de la Cinématographie au titre de ‘jeune talent’ est revenu dégoûté de la dernière COP en 2018. Il a rencontré son jeune homologue belge dans une vidéo de discussion super profonde, où il se demande ‘pourquoi nous avons échoué ?’ et qui invite à la radicalité, au sens de prendre les problèmes à la racine, tout en prônant la non-violence. Mais, à présent convaincu que ce monde allait s’effondrer il est presque sûr qu’il y aura de la violence.

Après lui c’est deux jeunes youtubers anciennement proches de la France Insoumise en 2017, d’abord Cemil Chose à te dire, rallié aux Gilets Jaunes, puis Demos Kratos qui se ‘convertissent’ à l’idée de décroissance et d’effondrement de notre société entraîné par celui de la biosphère.

Demos Kraos avoua lors d’une conférence en 2019 en avoir fait une « grosse dépression », mais il est reparti au combat et cherche des moyens, non-violents mais plus radicaux pour changer ce monde.

Récemment, les groupes Facebook relatifs à ces thématiques ont explosé depuis le début de cette année, l’un des plus anciens qui est sorti du lot est apparu peu avant 2017 fut ‘Collapsologie, les limites de la croissance’, bientôt suivi de ‘Transition 2030’, basé sur les analyses du Club de Rome, publiées en 1971, et qui prédisait un effondrement au cours des années 2020 .. qui se confirmerait.

Cette forte croissance du thème ‘effondrement’ sur Facebook est sans trop d’hésitation le fruit de la pétition ‘L’affaire du siècle’ où est posé le principe d’une plainte contre le Gouvernement pour ‘inaction climatique’ et ‘non respect des décisions de la COP 21’ et des suivantes ..

Des politiques très peu nombreux au service de la transition

Politiquement, maintenant, la décroissance restait confinée à l’Assemblée Nationale au député Yves Cochet, du groupe des Verts, devenu EELV, et que révéla un discours étonnant devant ses collègues, où pour la première fois, c’était il y a plus de dix ans, retentit le mot ‘décroissance’ dans l’hémicycle.

Il a contribué à convaincre le député communiste André Chasseigne, devenu anti-productiviste, à rebours de son parti, puis profondément écologiste. En 2012 il était le principal challenger de Jean-Luc Mélenchon au sein de la fédération du Front de Gauche. Hélas, le second a emporté le morceau et cela, nous l’avons rencontré, l’a rendu amer. La ligne de Mélenchon, puis de la France Insoumise en 2017 est restée keynesienne, productiviste, même si aux dernières présidentielles il se posait la question de pourquoi produire telle ou telle chose, à quel coût humain, environnemental et introduisit la notion dirigiste de ‘planification écologique’.

L’avenir semble plutôt à la multiplication de petites et moyennes structures de production horizontale, comme la ZAD de Notre Dame des Landes l’a expérimenté, ou encore, au début des années 1970 les expériences ouvrières autogestionnaires (usine Lip, Chili d’avant Pinochet).

C’est la voie qu’a choisi le rédacteur en chef de Fakir, journal de lutte et d’information sociale basé à Amiens, François Ruffin. Sa rencontre avec Pablo Servigne l’a convaincu, non sans une boule dans la gorge, d’une nécessaire décroissance et d’une sortie au plus vite du modèle capitaliste consumériste. Il est vu comme un challenger possible de Mélenchon pour les élections présidentielles de 2022.

Thierry Kruger

auteur-réalisateur de documentaires citoyens
co-listier de la liste Décroissance 2019 pour les élections européennes


Dans les tribunes, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n’est pas nécessairement celui de la rédaction.

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